Science dans la société

La démarche expérimentale en sciences du numérique : entre simulation, validation et interdisciplinarité

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Mis à jour le 29/04/2025

Depuis toujours, l’expérimentation est fondamentale en sciences pour confronter théorie et réalité et affiner ainsi la compréhension des phénomènes étudiés afin de faire progresser la connaissance. Que ce soit en physique, en biologie, en robotique et en neurosciences, les sciences du numérique sont des outils puissants au service de la démarche expérimentale pour mesurer, contrôler ou encore modéliser des hypothèses de travail. Une expertise reconnue et développée par les équipes du Centre Inria de l’université de Bordeaux.
Expérience d'optique
© Inria - Potioc / Photo M. Magnin

Expérimentation et modélisation : une interaction forte

Ainsi, un modèle mathématique ou informatique permet d’expliquer un phénomène et d’en prédire le comportement, mais ce n’est qu’à travers l’expérience qu’il peut être validé ou invalidé. Cette démarche repose sur un principe fondamental de la méthode scientifique : la falsifiabilité, théorisée par Karl Popper. Selon ce principe, une hypothèse doit être réfutable pour être considérée comme scientifique et n’est valable que tant qu’aucune expérience ou observation ne l’a contredite. Lorsqu’une anomalie est détectée, un nouveau cadre explicatif doit être proposé, menant parfois à des révolutions scientifiques.

L’équipe-projet Mnemosyne s’intéresse à la modélisation du cerveau et aux différentes interactions des structures neuronales pour produire des comportements cognitifs. « Les modèles que nous concevons sont confrontés aux résultats d’expériences animales réalisées sur des rongeurs et des primates en lien avec des professionnels certifiés. Cet encadrement nous permet de tester nos hypothèses grâce à des manipulations des conditions d’apprentissage et de les confronter aux analyses des réponses cérébrales des animaux, souligne Nicolas Rougier, directeur de recherche dans cette équipe. Chaque nouvelle expérience permet d’affiner les modèles, de rejeter certains scénarios et d’en proposer de nouveaux. »

Une diversité d’expériences selon les terrains d’étude

L’expérimentation scientifique peut prendre différentes formes en fonction du terrain d’étude et des objectifs poursuivis. Certaines recherches nécessitent un environnement totalement contrôlé, où chaque paramètre peut être ajusté pour tester des hypothèses précises. D’autres, au contraire, se déroulent en conditions naturelles, au plus proche de la réalité, quitte à accepter une part d’imprévisibilité. Enfin, les sciences du numérique offrent un troisième type d’expérimentation, où les phénomènes étudiés sont entièrement simulés dans des environnements informatiques.

Les expériences en laboratoire permettent de contrôler rigoureusement les variables expérimentales et d’assurer des conditions reproductibles. L’équipe-projet Pleiade qui se focalise sur des thématiques de bio-informatique, collabore avec des biologistes, pour qui, seules les preuves expérimentales sont admises. « Nous collaborons avec des équipes en biologie et en santé, des domaines où seule l’expérimentation permet d’établir une preuve, explique David Sherman, responsable de l’équipe. Tandis que nous exigeons de notre part des démonstrations mathématiques validant la justesse de nos méthodes, nous devons reconnaître que, pour nos partenaires, cela ne constitue pas une preuve en soi. C’est pourquoi nous investissons beaucoup d’efforts pour que nos méthodes apportent des explications susceptibles de générer des hypothèses testables en multi-omique et reproductibles. ».

À l’inverse, certaines recherches nécessitent des expériences en conditions naturelles, où le contrôle sur l’environnement est plus limité mais où les résultats peuvent gagner en pertinence. C’est le cas des études menées par l’équipe-projet Flowers AI & CogSci, qui explore l’apprentissage en étudiant le développement cognitif des enfants. « En testant nos modèles dans des situations que les enfants rencontrent au quotidien, en allant dans les écoles par exemple, nous arrivons à mieux comprendre les mécanismes d’apprentissage naturels et ainsi en tirer des enseignements pour le développement de systèmes d’intelligence artificielle inspirés du vivant, et qui pourront en retour être utiles par exemple pour développer des technologies éducatives » éclaire Pierre-Yves Oudeyer, responsable de l’équipe.

Enfin, l’expérimentation numérique constitue un autre type d’approche, propre aux sciences du numérique. Dans certains cas, le terrain d’étude est lui-même un environnement informatique. La plateforme PlaFRIM offre un espace d’expérimentation pour tester des algorithmes de calcul haute performance et affiner des modèles de simulation. De même, l’équipe-projet Canari développe des algorithmes en cryptographie et en théorie des nombres. Dans ce domaine, l’expérimentation consiste à optimiser ces outils pour garantir à la fois performance et sécurité. Ces expériences, bien que menées dans des environnements virtuels, sont essentielles pour valider des méthodes utilisées à grande échelle dans des domaines aussi variés que la cybersécurité, la modélisation physique ou l’intelligence artificielle.

La reproductibilité scientifique : un principe fondamental mais complexe

La reproductibilité est l’un des piliers fondamentaux de la démarche scientifique : une expérience doit pouvoir être répétée dans des conditions similaires et aboutir aux mêmes résultats pour être considérée comme valide. Cependant, ce principe se heurte à de nombreuses difficultés selon les disciplines. La diversité des terrains d’étude, la complexité des phénomènes observés, les contraintes techniques et les biais des cohortes expérimentales rendent parfois la reproductibilité difficile à atteindre en pratique. C’est notamment le cas des équipes-projets Bivwac et Potioc qui réalisent des expérimentations en interaction Humain-Machine sur des cohortes humaines. Ces dernières peuvent avoir des biais dans leur composition : âge, éducation ou encore environnement de vie des sujets, qui vont influencer leur comportement et leurs capacités. 

Face à ces défis, les équipes du Centre Inria de l’université de Bordeaux accordent une attention particulière à la mise en place de pratiques rigoureuses garantissant la reproductibilité des expériences

 

Expérience de BCI
© Inria / Photo B. Fourrier

La science ouverte et l’éthique : des enjeux incontournables

Face à ces défis, les équipes de recherche du Centre Inria de l’université de Bordeaux mettent en place des pratiques rigoureuses visant à favoriser la science ouverte et la reproductibilité des expériences. Mais l’expérimentation scientifique ne se limite pas à la mise en place de protocoles et à l’analyse des résultats : elle soulève également des questions éthiques et de transparence (encadrées par le Coerle chez Inria) qui influencent directement la manière dont la recherche est conduite et diffusée. 

Dans un monde où les fake news et la désinformation scientifique se propagent rapidement, la démarche expérimentale joue donc un rôle primordial en sciences pour confronter réalité et théorie. Grâce à ses infrastructures, à ses dispositifs expérimentaux variés et à son large éventail de compétences techniques et scientifiques, le Centre Inria de l’université de Bordeaux est un acteur clé de ce procédé scientifique et ce, dans de nombreux domaines applicatifs. Cette expertise, combinant modélisation, simulation et expérimentation, favorise l’approche interdisciplinaire et les collaborations multiples en Nouvelle-Aquitaine, mais aussi au niveau national et international, garantissant ainsi les échanges de savoirs et la création de nouvelles connaissances.